Les titres transférables électroniques ont désormais les mêmes effets que les titres transférables imprimés. Une équivalence conditionnée au respect d'une « méthode fiable » par le système électronique qui matérialise le titre. La blockchain et les DLT viennent d’être qualifiés par la loi comme l’une de ces méthodes.
Le commerce international entre professionnels produit, chaque année, environ 4 milliards de nouveaux documents. Seuls 0,1% d’entre eux étaient dématérialisés en 2022 (Livre blanc ICC France, 2022). La principale explication serait « l’absence de reconnaissance, dans le droit français, et plus largement dans la quasi-totalité des systèmes juridiques, de la valeur probante de la forme électronique des titres dits “transférables” » souligne le rapport de la Mission sur l’accélération de la digitalisation des activités de financement du commerce international (juin 2023).
En pratique, les équivalents électroniques des documents transférables jusqu’ici en papier peuvent ainsi « jouer un rôle particulièrement important dans certains domaines tels que les transports et la logistique, ainsi que la finance » (Loi type de la CNUDCI sur les documents transférables électroniques, 2017).
La traçabilité des titres transférables électroniques
Une valeur juridique accordée aux documents nativement numériques.- Les transactions internationales et le transfert des documents associés requièrent une traçabilité des engagements contractuels jusqu’à présent garantie principalement par des documents papier, faute de reconnaissance généralisée de la valeur juridique des documents nativement numériques.
Anachronisme réparé par la loi du 13 juin 2024 qui prévoit désormais que « le titre transférable électronique a les mêmes effets que le titre transférable établi sur support papier ».
Bien évidemment, cette équivalence vaut sous réserve du respect d’un certain nombre de garanties. Le papier était jusqu’ici considéré comme la méthode la plus sûre pour éviter une duplication non autorisée de ces documents.
Ce titre transférable électronique doit ainsi contenir « les informations requises pour un titre transférable établi sur support papier et qu'une méthode fiable est employée pour :
1° Assurer l'unicité du titre transférable électronique ;
2° Identifier le porteur comme la personne qui en a le contrôle exclusif ;
3° Etablir le contrôle exclusif du porteur sur ce titre transférable électronique ;
4° Identifier ses signataires et ses porteurs successifs, depuis sa création jusqu'au moment où il cesse de produire ses effets ou d'être valable ;
5° Préserver son intégrité et attester des éventuelles modifications qui lui sont apportées, telles des adjonctions, biffures ou radiations permises par la loi, les coutumes, les usages ou la convention des parties, depuis sa création jusqu'au moment où il cesse de produire ses effets ou d'être valable. L'intégrité s'apprécie, au regard de l'article 1366 du code civil, en déterminant si les informations contenues dans le titre, y compris ces éventuelles modifications, sont restées complètes et inchangées ».
La blockchain et les DLT, méthode fiable de traçabilité de ces documents.- Les attendus de cette « méthode fiable » opèrent un renvoi direct aux caractéristiques intrinsèques de la blockchain ou registre électronique tel que défini par le règlement eIDAS n° 2024-1183 du 11 avril 2024 comme une « séquence d’enregistrements de données électroniques qui garantit l’intégrité de ces enregistrements et l’exactitude du classement chronologique de ces enregistrements ».
Les travaux parlementaires révèlent ainsi que « Dans le respect du principe de neutralité technologique, le mécanisme de la chaîne de blocs (ou blockchain) sur laquelle reposent certains registres distribués, c’est-à-dire synchronisés sur un réseau d’ordinateurs sans stockage de données centralisé, pourrait être utile à la détermination de la « méthode fiable » garantissant l’identité du porteur d’un titre transférable électronique et l’intégrité de ce titre » (Assemblée nationale, rapport 2428). Des technologies déjà reconnues par le droit positif (v. notamment l’ordonnance de 2017 pour l'inscription de certains titres financiers) et un règlement européen de 2022 (le droit français a été adapté au régime pilote proposé par ce règlement par l'article 7 de la loi « DDADUE » du 8 mars 2023).
Les dispositifs de confiance visés.- Comme l’a indiqué la direction générale du Trésor, pour « garantir une flexibilité sur les méthodes fiables pouvant être employées, le Gouvernement ne souhaite pas être prescriptif sur les technologies employées (…) dès lors que celles-ci sont communément acceptées par l’ensemble des parties impliquées avec le ou les titres transférables utilisés » et que, le cas échéant, elles obtiennent une certification publique.
Eu égard au contexte normatif européen, la certification de prestataire de service de confiance au sens du règlement eIDAS, pourrait être l’une d’entre elles.
Celle portant, par exemple, sur l’horodatage électronique qualifié aurait le mérite d’associer une date certaine aux transactions inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP, c’est-à-dire une blockchain ou un DLT) et, partant de sécuriser les dates de prise de garanties ou d’endossement. Un écho à l’article 13 de la loi type de la CNUDCI qui prévoit que lorsque la loi exige que la date/l’heure soient indiqués pour un document transférable papier, cette exigence est satisfaite si une méthode fiable est employée pour y indiquer, dans la version numérique, cette date/heure (v. sur ce point l’annexe de la loi type qui indique au paragraphe 143 que « La référence à la mise en œuvre d’une méthode fiable pour indiquer la date et l’heure indique la possibilité d’utiliser des services de confiance comme l’horodatage sécurisé »).
Les attendus du décret d’application
L’équivalence prévue par le titre II de cette loi sur l’attractivité financière sera reconnue dès lors que les conditions prévues par un décret en Conseil d’Etat à paraître seront remplies.
Ces conditions devraient permettre de vérifier que le document électronique peut faire l'objet d'un contrôle de sa création jusqu'au moment où il cesse de produire des effets, et préserver son intégrité.
Un décret qui devrait également poser des prérequis techniques de nature à rendre possible une interopérabilité des systèmes. Le législateur a en effet écarté la tenue d'un registre comprenant toutes les données relatives aux titres transférables utilisés dans le commerce international par un acteur public (ce qui est le cas à Singapour).
Les notions de « contrôle exclusif » et de « dispositif de création et de stockage d'un titre transférable » y seront également définies.
L'ANSSI et l'AMF seront associés à la rédaction de ce décret, qui viendra également fixer la date d’entrée en vigueur de cette équivalence papier/numérique. Précisons, toutefois, qu’à défaut de décret, ce nouveau cadre sera effectif au plus tard en mars 2025 (L. n° 2024-537, 13 juin 2024, JO 14 juin 2024, art. 29) pour tous les nouveaux documents émis.
[IMPACT] Synthèse
· Définition : Est créée une définition des titres transférables. La loi envisage sept catégories de titres transférables : la lettre de change, le billet à ordre, le récépissé, le warrant, le bordereau de cession d’une créance professionnelle, le connaissement maritime et la police d’assurance
· Régime juridique : Possibilité pour tout titre transférable d’être établi, signé et conservé sous forme électronique, puis transféré, remis et modifié
· Codes modifiés : Code de commerce, Code monétaire et financier, Code des transports et Code des assurances de la possibilité de créer ou de modifier au format électronique
· Décret d’application : Définira principalement les garanties requises sur l’identification du porteur d’un titre, la vérification de son contrôle exclusif et le suivi de l’intégrité du titre. Il garantira également que l’interopérabilité entre les titres soit effective si plusieurs solutions techniques venaient à être développées par les entreprises privées
Enjeu du décret : principe de neutralité technologique et équilibre entre exigence de fiabilité et besoin d’une normalisation facilitant sa reconnaissance et son utilisation par les sociétés établies dans le monde entier
[CONTEXTE]
CNUDCI : « Les incertitudes quant à la valeur juridique des documents transférables électroniques constituent un obstacle au commerce international » Loi type de la CNUDCI sur les documents transférables électroniques, 2017
Union européenne : Règlement eIDAS2 et Règlement eFTI
France
-Rapport : remis en 2023 par Mmes Collot et Teper et M. Henry au Gouvernement
-Rapport : « Mission sur la numérisation de l’activité de financement du commerce international (devant) permettre d’identifier les pistes d’amélioration de notre dispositif législatif et réglementaire et de fédérer l’écosystème de la trade finance sur les opportunités liées à la dématérialisation, au bénéfice de l’attractivité de la place de Paris ». Les conclusions de cette mission ont été remises le 29 juin 2023
-Droit positif
o Avant la loi du 13 juin 2024 : Le droit positif ne comprend pas de dispositions sur les titres transférables électroniques
o Depuis la loi du 13 juin 2024 : quatre articles reconnaissent que tout titre transférable électroniquement a les mêmes effets qu’un titre transférable imprimé.
LES FLUX ASSOCIÉS À UNE TRANSACTION INTERNATIONALE
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